Public accueilli
Public mixte d'adolescents confrontés à des difficultés complexes nécessitant l'organisation d'une rupture temporaire avec le milieu habituel de vie. Un tel éloignement des habitudes quotidiennes et du cadre de référence nécessite l'adhésion des jeunes au projet pédagogique qui leur est proposé.
Restrictions
Afin que le jeune puisse assumer les réalités quotidiennes de l'expédition :
Pas d'assuétudes graves,
Pas de passages à l'acte au niveau de la violence,
Pas de problématiques de type psychiatrique
Pour des raisons administratives, essentielles pour les voyages à l'étranger :
Etre en possession de ses documents d'identité, valides au delà de la fin du projet.
Nos prises en charge sont conditionnées par un mandat d'une autorité de placement: SAJ/SPJ/TJ.
Procédures d'accueil
Le premier contact peut être réalisé par un professionnel (conseiller, directeur,délégué, juge, CPMS, institutions, autres services comme les AMO...), les parents ou le jeune lui-même.
Le service travaillant exclusivement sur mandat, un entretien téléphonique avec un(e) délégué(e) pour préciser la situation et la problématique du jeune est nécessaire. A cette occasion l'adéquation entre ce qui est présenté du jeune et la spécificité du projet d'expédition est réfléchie.
Si l'idée est jugée pertinente, le bénéficiaire est informé de notre possibilité de l'accueillir pour un entretien d'admission. C'est alors au jeune de contacter Vent Debout pour obtenir un RDV.
L'entretien porte sur la situation du jeune racontée selon sa perception et les raisons qui lui font envisager de vivre une expédition. C'est également l'occasion de lui donner, ainsi qu'à ses parents, les informations relatives au projet auquel nous pouvons lui proposer d'adhérer.
Un délai de trois jours de réflexion est laissé au jeune et à l'équipe pédagogique pour prendre une décision définitive d'acceptation et de prise en charge. A nouveau, pour le garder acteur dans le processus, c'est au jeune de téléphoner à Vent Debout pour rendre sa réponse et entendre celle de Vent Debout.
Un rendez-vous de formalisation auprès de l'autorité de placement compétente est programmé. Durant celui-ci le cadre de travail est déterminé et les objectifs pour le jeunes sont définis.
Phases d'intervention
Après la phase d'admission, trois à quatre autres moments clés.
La phase de préparation
En cas de prise en charge, le jeune est accueilli à Vent Debout pour participer à une préparation de 5 jours de randonnée en autonomie dans les Ardennes. Avant de se lancer sur les sentiers, nous prenons quelques heures pour compléter avec lui le PEI, assurer la visite médicale et fournir le matériel spécifique pour vivre l'activité dans les meilleures conditions. Exceptionnellement, l'équipe peut faire le constat qu'un jeune éprouve trop de difficultés à s'adapter (physiquement, moralement ou psychiquement) ou qu'il met la vie du groupe en danger. Dans ce cas, il arrive que nous ne le laissions pas participer à l'expédition programmée.
La phase d'expédition
Qu'il s'agisse d'expéditions à la voile ou pédestres, le but est toujours une rupture par rapport à une situation problématique. Changer de contexte, de mode de vie, favorise une prise de recul, de distance. C'est une expérience de vie collective, avec le respect de soi, des règles, des personnes et des limites que cela implique. Pendant cette phase prennent bien entendu place des moments de discussion, de réflexion. Ils seront parfois formels à l'occasion d'entretiens individuels ou d'évaluations collectives (en fonction des besoins rencontrés par chacun des participants).
La phase de retour et de débriefing
Dès le lendemain du retour, en nos murs, des débriefings individualisés sont organisés. Ils sont réalisés en présence des éducateurs-expéditionnaires, témoins de l'expérience du jeune et partenaires de sa réflexion. C'est un temps pour faire le point, décoder avec un peu de recul le vécu de l'expédition, créer des ponts avec le futur et célébrer le fait d'avoir mené l'aventure à terme. Ensuite, en présence de sa famille et de ses proches qui viennent le rechercher, les échos généraux sont partagés. Enfin, l'évaluation avec l'autorité mandante est programmée dans les jours qui suivent. C'est le moment pour le jeune de lui rendre compte de son vécu, de ses évolutions, de ses réflexions et des envies qui l'habitent pour le futur. Cet entretien permet aussi de prendre les décisions pour le futur du jeune.
La phase éventuelle de suivi
Le cas échéant -si besoin est, en fonction de la disponibilité et de la position de l'autorité de placement- l'équipe poursuit un accompagnement individuel (hébergement à Wandre, suivi en famille ou en mise en autonomie) toujours dans la perspective d'autonomiser le jeune et de l'amener à se repositionner en qualité de sujet de son existence, capable de choix, et non plus en tant que victime ou objet.
Notre outil ?
La Nature comme outil thérapeutique [1]
« Imaginez une organisation telle que la nature. Prodigue sans mesure, indifférente sans mesure, sans intentions et sans égards, sans pitié et sans justice.
A la fois féconde, aride et incertaine, imaginez l’indifférence elle-même érigée en puissance.
Comment pourriez-vous vivre conformément a cette indifférence ? Vivre, n’est-ce pas précisément l’aspiration à être différent de la nature ?
La vie ne consiste-t-elle pas précisément à vouloir évoluer, préférer, à être injuste, limité, autrement conformé ?»
F.NIETZSCHE
Pour la plupart, les jeunes gens et jeunes filles accueillis à Vent-Debout vivent une crise intense. Peu importe le lieu ou ils vivent, rien ne vas plus. Les adultes n’arrêtent pas de les assaillir d’exigences qu’ils ne parviennent plus a assumer. D’échecs en ruptures ils finissent par ne plus croire en rien et surtout pas en eux. Alors certains disent oui à tout et échouent parce qu’ils ne tiennent plus compte de ce qui leur importe.
Parfois il en est qui entrent en rébellion violente ou dans un repli sur soi de plus en plus économe en relation. D’autres ont recours à des produits modifiant leur perception et s’isolent dans une fuite sans issue. Souvent cela se termine par l’exclusion pure et simple des circuits habituels que sont l’école, les copains, les flirts, le sport, les parents, la culture, …
Parfois la justice s’en mêle parce que trop de limites ont été dépassées. C’est à ce moment là en l’absence de perspectives que nous leur proposons quelque chose qui sort totalement de ce qu’on a envisagé pour eux avant…et en plus on leur demande leur avis…
Et c’est là que la nature peut enfin aider ces Hommes à en aider d’autres en traversant une aventure, un territoire qui peut les amener à remettre en question le regard qu’ils portent sur eux-mêmes, sur le monde et sur les autres.
La nature est inconnue, il va falloir apprendre ses règles, ses limites.
La nature est indifférente, en face d’elle, le poids des parents, des écoles, de la police, des juges, des contraintes de la vie n’ont plus cours…alors on n’a plus que soi même à blâmer ou à féliciter parce qu’on est tout seul.
La nature est pleine de merveilleuses surprises et voilà que ces jeunes s’émeuvent d’une fleur, d’un bouquetin, d’un coucher de soleil, d’un dauphin….
Alors le jeune se dit que s’il peut ressentir ici, pourquoi pas ailleurs. Mais l’émotion peut aussi venir parce que la fatigue est là ou, l’angoisse de la nuit…
Alors, parfois, ils pleurent, ils se lâchent mais plus pour les mêmes raisons qu’avant.
Dans la nature, toutes les règles habituelles sont chamboulées. Les plus forts ne sont pas ceux qui s’en tirent le mieux alors il faut essayer de nouveaux comportements qui eux-mêmes apportent un enrichissement des ressentis et de l’image de soi. Au quotidien on s’en sort de mieux en mieux. On gère son effort pour tenir jusqu’au soir, on s’entretient, on veille à son matériel et on y gagne en satisfaction et en confort.
La nature est changeante, pleine d’imprévus auxquels il faut s’adapter faute d’une sanction immédiate. Et c’est là qu’on se rend compte qu’alors qu’on déclarait ne plus rien avoir à perdre, on est surpris de tenir à la vie. C’est l’occasion pour les adultes bienveillants qui accompagnent de le faire remarquer aux jeunes à chaque fois qu’ils craignent pour leur vie.
La nature est impressionnante, cet aspect sauvage et hostile de la nature est fantasmé par les jeunes et il leur est alors plus aisé de le mettre en parallèle avec leurs propres peurs. C’est plus logique ou légitime d’avoir peur sur un petit sentier de chèvre glissant avec du vide partout autour que d’admettre qu’on à peur de l’école ou, de la nouveauté pourtant cela aussi c’est possible a dire.
La nature est un espace ou tout le monde a quand même un peu peur parce qu’il faut être prudent. « Si tout le monde y a peur, je peux m’autoriser à y dire ma peur ! ».
Dans la nature, le moindre geste à son importance. Un bon feu engendre un bon repas…un mauvais feu ne prend pas ou s’éteint et on mange froid ou pas du tout. En mer, ne pas ranger chaque chose à sa place peut amener de vrais problèmes,…
Les rythmes reprennent également sens. A midi on a faim mais il ne faut pas trop manger pour pouvoir encore marcher et surtout avoir encore de quoi manger le soir. La nuit est faite pour dormir. C’est la condition pour pouvoir poursuivre et ce n’est ni les parents ni les profs, ni les éducateurs qui le diront ; ce sont les jambes et le corps…..Le simple geste de boire prend tout son sens lorsqu’il faut aller chercher l’eau et/ou s’assurer qu’elle est potable.
La nature remet l’homme à sa juste place parce qu’elle est là, simplement là et non parce qu’elle veut lui faire obstacle. Après deux jours d’Ascension, le cou tordu pour regarder ce qu’il reste à gravir, au milieu d’éboulis ou chaque bloc est plus gros qu’un immeuble, on se sent tout petit. La nuit sans lune à la barre du bateau, point infime au milieu de toute cette obscurité mouvante …. On est complètement dépassé, on abandonne sa toute puissance, on se sent humble mais jamais humilié parce qu’on sait que quoi qu’on fasse c’est toujours la nature qui gagne.
Dans ces moments là, on a tendance a se confier, sans fard. On est un humain parmi les humains avec ses peurs, ses faiblesses, ses regrets et ses angoisses….Nulle part dans la vie il n’existe d’endroit et de moments aussi propices à la confidence. C’est évidemment a ses occasions que le travail des éducateurs est grandement facilité.
Aller d’un point à un autre, dans la nature laisse des traces dans les corps mais surtout dans les esprits. Surmonter les obstacles, se gérer, se supporter, supporter les autres, les contraintes, négocier, renoncer parce que c’est au-dessus de nos forces, constituent des leçons qui s’ancrent en nous et nous changent. C’est là le coté initiatique de la nature parce que quand on en revient les autres nous disent qu’on a changé.
Braver la nature impressionne beaucoup plus les jeunes que braver les interdits sociétaux. Ou est le caïd qui rackettait les petits, fumait des joints avec les copains, taquinait le risque au guidon de son scooter et criait à qui voulait l'entendre qu'il n’avait peur de rien ? Quand au réveil juste devant sa tente on découvre un bel étron couronné de papier plus ou moins souillé et qu’il explique qu’il faisait trop noir pour qu’il ose aller plus loin !
La violence occasionnée par la perte de ces repères nécessite un encadrement respectueux, bienveillant et professionnel parce qu’a ce moment le jeune est démuni et prêt à apprendre de nouvelles choses. Alors débarrassé de tout parasite le jeune va pouvoir cheminer, réfléchir, évoluer, échanger jusqu'à savoir un peu mieux ce qu’il veut pour après. Parce qu’ils comprennent mieux le sens des choses et surtout la place qu’ils occupent et le rôle qu’ils choisissent de jouer dans la vraie vie.
On peut avoir une lecture de la nature très clivée et souvent les jeunes fonctionnent de cette manière : c’est nul ou c’est cool, c’est bon ou mauvais, blanc ou noir. Sous certains aspect, la nature sanctionne de façon clivée. On est sec ou mouillé, debout ou tombé, perdu ou sur le chemin, on voit ou on ne voit rien. Et pourtant on peut évoluer malgré ce clivage.
On peut se fixer des objectifs et y arriver…parce que tout cela est mis en mot par l’éducateur qui amène la nuance… on peut composer avec les clivages, on peut négocier le degré d’inconfort, aménager le parcours pour le rendre plus sur (cadres, équipement).. De l’inconfort il y en aura mais le fait de progresser vers le but qui se rapproche donne souvent des ailes et on se surprend à être content d’avoir « mis le paquet ». On est fier de soi.
« C’était dur, j’ai craché ma valda mais je l’ai fait ». Cette phrase on l’entend souvent et on exploite son impact.
Dans la nature on découvre la solidarité, l’autre, celui qui tient la barre ou assure son premier de cordée est primordial. Je compte sur lui, il doit pouvoir compter sur moi. Ici on n’est plus en concurrence mais en association. La cohésion est une question de survie, elle est nécessaire.
Le groupe devient un contenant éducatif, une sorte de micro société ou chacun peut prendre son rôle d’acteur, y vivre la loi, faire l’expérience de la frustration, y exercer sa responsabilité, y être confronté aux autres…en son sein, on se sent en sécurité et on peut y faire état de ses angoisses (puisque tout le monde en à) grâce aux adultes fiables veillant à la tolérance des uns pour les autres.
Dans ce huis-clos naturel, le jeune a deux choix. Rentrer dans le groupe et suivre le mouvement (en s’impliquant du mieux qu’il peut) ou s’en aller…mais une fois que le périple a débuté ça demande beaucoup de courage et souvent, le groupe est un havre qu’on préfère ne pas quitter même s’il n’est pas confortable.
L’outil nature fonctionne bien, pourtant la nature seule ne suffit pas à apporter des changements.
Un proverbe arabe dit : « La pluie est la même pour tout le monde mais qu’elle fait pousser les épines au bord des chemins et les roses dans les jardins ».
Luc MORMONT[2] – Vent Debout
[1] Ce texte a été publié dans la revue Mille Lieux Ouverts,N°35, pp. 5-8, 2006
[2] Ancien directeur de Vent Debout